Je suis partie en vacances récemment, je
n’avais pas pris mon ordinateur car les vacances, d’après l’acception usuelle
de ce terme, désignent une période pendant laquelle on ne travaille pas. Sauf
que j’ai complètement raté mon coup, cerveau en ébullition chaque soir. Résultat,
j’ai passé mes nuits à écrire et mes journées à dormir, j’ai raté la visite du
plus grand monastère de la chaîne des Balkans et je suis rentrée avec un
bronzage excessivement discret, pour ne pas dire invisible. Mais en
contrepartie, j’avais dans ma valise du retour un carnet de notes bien dodu,
bien joufflu, tout débordant d’idées claires et sautillantes. Ensuite, il n’y
avait plus qu’à mettre au propre. Le pied : comme si quelqu’un avait
travaillé à ma place, que je n’avais plus qu’à jouer à l’assistante qui rédige un
rapport sur la base des lignes directrices données par la patronne. Naturellement,
l’assistante fignole, affine, cisèle ; mais la conception, les grands
choix, le territoire, les intentions, l’architecture, tout ça est déjà à
disposition, elle se contente de tirer sur les fils. Du prochain roman, il va sans dire.
Mon cœur se cabre, quelques secondes il
reste en gare tandis que mon corps déjà à toute allure est propulsé sur les
rails, puis l’organe me rattrape et je respire à plein poumons, dans mes
poumons du dos et sans bouger le ventre, c’est ma prof de Pilates qui m’a
appris. (Post-it trouvé sur mon bureau : concerne le moment où j’ai trouvé
l’architecture de R4.)
Pilates, c’est un peu la révélation du
moment. Sport, discipline, plutôt discipline, je voulais faire du sport cependant
j’ai trouvé une discipline, et au fil des semaines Pilates est devenu à la fois
la métaphore et le modèle, la matrice, l’horizon de tous mes efforts, de toutes
mes recherches. Parce que Pilates c’est l’endurance et le centrage, c’est la
maîtrise et la puissance, mais une puissance fluide et profonde, qui ne
brutalise pas, qui ne maltraite pas. Un contrôle doux, l’ambition sans la
crispation. Chaque fois que je me heurte, que je me cogne, que c’est dur ou
poisseux, Pilates m’est d’un si grand secours, je me porte secours avec Pilates.
Qui m’aide et me guide. Qui me dit voici la posture mentale, voici le rapport à
soi et au monde. Qui me dit résiste, résiste, accroche-toi, oui ma grande
accroche-toi, résiste et déploie, ouvre et irradie, drape-toi, englobe-toi
d’une pensée grande et transversale qui inclut d’infinis réglages, d’infinis
détails, décompose et recompose, développe et enveloppe, songe aux détails et
songe à l’ensemble, vois les infimes parties et vois le tout, et jamais ne
lâche le centre, ne force pas, ne contracte pas mais conserve la tension, la
légère tension, tiens et maintiens, c’est le centre, n’oublie jamais ton
centre, tu es ton centre, puise ton énergie dans ton centre, tu es puissante,
tu peux tout, tu survivras à tout, tu peux arriver partout. Bref, Pilates c’est
trop bien, je suis fan.
C’est une grande feuille comme un
paysage, il y a des crevasses, je soulève les bords de la crevasse, je tire ça
fait mal, un peu mal, comme quand on tire sur une plaie, sur les bords d’une
plaie. (Post-it trouvé sur mon bureau : aucune idée de ce dont ça parle.)
Sinon, j’ai cassé, les unes après les
autres, et bien sûr involontairement, toutes mes tasses à double paroi en
verre. C’est une immense tragédie.