dimanche 10 juin 2012

Je suis dans l’avion et je souffle enfin et de ce souffle enfin je pourrais aussi bien ranimer mon blog me dis-je dans l’avion en soufflant enfin, c’est ce que j’ai écrit avant de prendre l’avion en m’imaginant dans l’avion tandis que dans l’avion objet du monde que les humains s’accordent usuellement à qualifier de réel je me suis contentée de lire Psychologies Magazine, c’est beaucoup plus intéressant que je ne l’aurais imaginé.

Partie, donc, je suis, ce n’est pas une métaphore mais un constat, qui n’est pas neutre cependant, cela implique, attention indice, qu’il ne s’agit pas d’un retour mais d’un voyage, je ne suis pas rentrée d’où je venais, je suis temporairement déplacée. En d’autres termes, je suis pour l’heure absente d’ici et présente là-bas, vous noterez que ces deux propositions sont indissociables puisque disparaître d’ici sans apparaître là-bas ou apparaître là-bas sans disparaître d’ici est impossible sans tour de magie, sauf que précisément, du fait de ladite opération à double face précédemment décrite l’ici devient là-bas et vice et versa, c’est complètement dingue n’est-ce pas.

Je suis ici, dans mon ici, et vous, vous êtes là-bas, dans mon ici antérieur, raison pour laquelle vous ne devez pas dire ici pour ici, tandis que moi, j’en ai le droit, c’est la différence fondamentale entre vous et moi, être ici me donne le privilège irréfragable de qualifier l’ici d’ici, oui je suis un peu lourde avec mes blagues sur l'indexicalité, et mon ici, c’est Cluj qui m’accueille en mission Stendhal pour un mois, il reste 16 jours avant que la ville ne redevienne un vulgaire là-bas comme une citrouille.

Le contrat dit, j’apporte mon concours aux actions menées par le Réseau culturel français à l'étranger tout en travaillant sur mon projet d’écriture, et le contrat dit la vérité mais pas toute la vérité, car dans sa grande sagesse il a considéré qu’il serait inutile de faire à l’avance la liste de tous les gâteaux à la crème que j’allais manger une fois sur place étant donné que je m'en charge bien volontiers, cette activité d'inventorisation pâtissière étant au demeurant nécessaire à mon bien-être psychologique et donc à l'avancée de mon texte. 

Mon texte, ou plutôt mon enquête (c’est la même chose) dans la mesure où je ne suis pas ici pour écrire à proprement parler, ce n’est pas une retraite mais un séjour pour se documenter ou nourrir un travail en cours, c’est-à-dire recueillir des données factuelles ou s’auto-exposer à des situations susceptibles d’engendrer une recomposition mentale de nature à favoriser le repassage du linge de cerveau.    

Je suis ici et j’enquête. Je respire l’air de Cluj. J’écoute ce que les vieux messieurs chuchotent dans les cimetières. Je m’achète des robes criardes aux broderies scintillantes. Je visite des monuments historiques pour comprendre ce qu’est un monument historique. J’observe les gens et je leur pose des questions et je note leurs réponses mais aussi et surtout je note comment mon esprit ainsi confronté à leurs réponses réagit ce qui ensuite me permet de mettre à jour mes connaissances concernant le contenu de mes pensées. 

Si je ne me lasse pas de dire ici, je suis ici, c’est qu’être ici est indescriptiblement précieux en soi, ce n’est pas un ailleurs par rapport à mon ici antérieur mais un ici à part entière, je ne fuis pas, je vais à la rencontre de. Et de quoi, et de quoi, on le saura plus tard, méthodologiquement parlant c’est une enquête tautologique : j’enquête ici pour comprendre pourquoi j’enquête ici, ma grand-mère est déjà furieuse.