mercredi 23 mars 2011

Je déteste dire non, cela me donne la sensation blesser les gens. Raison pour laquelle j’ai ensuite tendance à leur proposer de venir faire le ménage chez eux, à supposer qu’ils m’en estiment digne, dans l'espoir de laver de cette manière mon terrible affront. C'était un projet dont le principe était le suivant : tous les auteurs sollicités écrivent un texte à une date prédéfinie, de telle heure à telle heure, sachant que le segment temporel ainsi délimité correspondait exactement à 60 minutes. Chacun chez soi, livraison à l’heure dite, mise en ligne instantanée puis publication dans un ouvrage collectif. De prime abord, le principe de la contrainte, oui. De second abord, cette contrainte en particulier, glurps. Car écrire un texte en une heure, je ne vois pas comment, même rédiger ma liste de courses ça me prend plus de temps, étant donné que pour faire une bonne liste de courses, efficace et fonctionnelle, il convient de faire l’inventaire des stocks, mais aussi de déterminer, pour chaque article pressenti, le rapport optimal entre son poids (si l’ensemble est trop lourd, j’abandonne mes paquets dans la rue, et alors toute l’opération est à recommencer) et sa valeur d’usage (des mouchoirs, c’est léger, mais en salade, ça manque définitivement de croquant), ce qui nécessite des calculs longs et complexes. Surtout, lâcher le texte dans la nature juste après l’avoir terminé, sans le laisser reposer, sans le relire, non non non. Me suis accusée d’être psychorigide, tu veux tout contrôler ma pauvre, oui c’est vrai et alors, où est le problème. Ai également songé à préparer un texte à l’avance et à l’apprendre par coeur afin de le réécrire de mémoire à l’heure convenue, ce qui m’aurait permis de respecter le contrat moral qui m’était proposé (après tout, il n’était nulle part stipulé que le verbe écrire devait nécessairement être compris au sens de créer) tout en assurant mes arrières, les arrières étant, précisément, constituées par le fait de savoir ce que j’envoie. Parce que je ne veux pas rendre public un truc dont j’ignore le contenu, et un texte que je n’ai pas relu à tête reposée est un truc dont j’ignore le contenu, finissez le syllogisme. Mais d’autre côté, tricher, ça aurait non seulement fausser les données de l’expérience, mais aussi en valider l’énoncé. Lequel signifie, je ne peux pas m’empêcher de le penser, quelque chose comme : parce que tu es auteur, nous présupposons à l’avance que ce que tu écriras en une heure sera un texte qu’on pourra étiqueter littérature. Je ne crois pas, ou du moins, pas dans mon cas. Alors je me suis rassemblée, et j’ai fini par dire, non, je ne suis pas la bonne personne, tout ne mérite pas d’être publié.

3 commentaires:

  1. Un(e) auteur(e) est par définition une personne qui a faim de mots et donc en mange parfois aussi.

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  2. Finissez le syllogisme:
    Je ne publie pas un truc dont j'ignore le contenu.
    Un truc que je n'ai pas relu à tête reposée est un truc dont j'ignore le contenu.
    Et si je publie le truc dont j'ignore le contenu après l'avoir relu c'est que j'avais la tête à Honolulu.

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  3. Il y a donc des gens qui pratiquent des exercices intellectuels avec contrainte?
    Rien que d'y penser, j'ai mal aux cheveux.

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